الجمعة, كانون1 27, 2024

Élections et crimes rituels, retour du permis de tuer ?

Élections et crimes rituels, retour du permis de tuer ?

Ainsi que l’a souvent rappelé l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), à l’approche de chaque scrutin et en particulier des élections locales et législatives, certains candidats font appel, pour l’emporter, à ce qu’on nomme communément «crimes rituels», appellation à laquelle les officiels préfèrent les mots «crimes de sang». A l’approche des élections qui se profilent le proche horizon, les réseaux sociaux bruissent déjà de témoignages portant tentatives d’enlèvement. La «saison de la chasse à l’homme» pourrait donc à nouveau s’ouvrir. Abslow s’indigne et tire la sonnette d’alarme.
La nouvelle de la mort du journaliste camerounais Martinez Zogo est une honte dans le monde civilisé dans lequel nous vivons. Il est triste que de tels faits continuent de se dérouler en Afrique avec une certaine régularité. Il est encore plus triste de constater que ce crime lointain n’ait pas été jugé suffisamment choquant pour susciter l’indignation des Gabonais tout court et celle particulière des professionnels de la corporation des journalistes qui s’en sont timidement intéressés.

Pourtant, cette mort atroce d’un acteur majeur de la société, n’a d’équivalent que celle de Patrice Lumumba, en janvier 1961, à l’heure où les noirs étaient encore considérés par eux-mêmes et par les blancs, comme de sous-hommes sur lesquels on pouvait se permettre toutes sortes d’atrocités. Enlever un homme, de surcroît pour ses opinions politiques, le torturer atrocement jusqu’à le faire mourir de douleur et abandonner sa dépouille mutilée sur un terrain vague, n’est même pas digne des animaux féroces qui ne traitent pas ainsi leurs proies.

Seuls les humains, qui se placent au dessus de la chaîne alimentaire parmi toutes espèces vivantes par leur supposé supériorité, se permettent une telle barbarie qui relève de la sauvagerie la plus primaire. Ce fait lointain ne m’a pas moins choqué et interpellé que les crimes abominables qui sont perpétrés quotidiennement dans mon pays et qui sont baptisés du curieux nom de «crimes de sang» pour leur ôter toute la gravité que renferme les vocables «crimes rituels ou sacrificiels» qui restituent mieux leur horreur.

Voici venu le temps des élections au Gabon qui correspond aussi à l’ouverture de la saison de la chasse. Une chasse bien particulière dont les proies seront bientôt nos enfants. Comme l’illustrait si bien Info 241 dans son édition du 30 avril 2022 : «A l’approche de chaque élection majeure, c’est chacun qui passe sa commande de ce qui lui plaît (le cœur, les yeux, le pénis, le clitoris, le cerveau, les membres, les cheveux, les ongles, le sang, la langue) et bien plus encore. Le tout dans une inhumanité glaciale à la fois des commanditaires et des hommes de main de ces pratiques».

Parce qu’il est difficile de qualifier autrement que par cette représentation métaphorique «ouverture de la saison de chasse», ces crimes saisonniers qui sont commis à la faveur de chaque élection présidentielle, législative ou locale. Ces crimes rituels ou sacrificiels dont souffrent nos familles par la disparition forcée de nos parents et plus souvent de nos enfants, qui sont immolés sur les autels de cette barbarie et cette sauvagerie, au nom de la conquête et/ou de la conservation, par les hommes politiques, des fonctions et positions de pouvoir.

Comme une triste alerte, on entend et voit déjà circuler sur les réseaux sociaux des notes vocales et des vidéos de témoignages de personnes ayant échappé à ces ravisseurs. Ces loups déguisés en agneaux qui se promènent dans nos quartiers, nos villages et nos villes avec l’intention de donner la mort à d’autres humains, compatriotes ou non, en usant de malice pour appâter tous ceux qui ont le malheur de baisser leur garde. Et dès lors, nul n’est plus en sécurité nulle part. Ni en taxi, ni dans la rue, ni à l’école, ni dans les bars, ni dans les hôtels et restaurants. Le danger est partout.

Ces filières assassines entretenues par les hommes de pouvoir et d’argent qui sont leurs commanditaires, s’octroient ainsi depuis de nombreuses années le «permis de tuer», en s’arrogeant le droit de vie et de mort sur les autres citoyens, sont une honte qui déshonore notre pays et le classe encore, en 2023, au rang des nations primaires qui rechignent à rentrer dans la modernité en ignorant les valeurs qui fondent les états modernes dont le respect de la vie et de la dignité humaine sont les principes fondamentaux.

Peut-on se targuer d’être un état de droit comme le revendiquent certains de nos dirigeants, quand des crimes abominables continuent d’être régulièrement commis par des citoyens sur d’autres citoyens parmi lesquels les enfants qui constituent leurs cibles privilégiées ? Le comble de cette barbarie réside dans le fait que de tels crimes innommables demeurent souvent impunis par la loi car les criminels bénéficient de protections diverses de leurs commanditaires pour ne pas être formellement interpellés quand ils sont soupçonnés, ou jugés quand ils sont incarcérés.

Un colloque sous-régional consacré aux crimes rituels, tenu à Libreville en 1985, avait déterminé trois facteurs principaux pour expliquer le phénomène des crimes rituels : (i) l’ignorance, (ii) la pauvreté et (iii) la concentration du pouvoir. Ce colloque avait permis de constater que «le recours aux crimes rituels est beaucoup plus accentué dans les pays où le pouvoir est plus concentré dans les mains de quelques personnes qui le distribuent au gré de leurs alliances, à qui ils veulent». Tous ces ingrédients sont présents au Gabon et constituent les mobiles qui font prospérer ces crimes honteux.

Quand on connait le poison, on sait lui trouver un antidote. Il est plus que temps que notre pays s’engage vers le chemin de la modernité et de l’humanité qui lui est consubstantielle, en s’appropriant les recommandations de ce colloque en vue de (1) réduire les inégalités et de promouvoir les intelligences ; (2) endiguer la pauvreté qui est l’arme idéale pour combattre les crimes rituels ; (3) promouvoir la démocratie et l’alternance ; (4) renforcer la justice et lutter contre l’impunité. Le Gabon ne peut plus continuer à perpétuer l’image d’une jungle où l’homme est un loup pour l’homme.

 

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